Habemus Papam: quelles conséquences économiques suite à l'élection du pape Léon XIV?

Habemus Papam: quelles conséquences économiques suite à l'élection du pape Léon XIV?
Le Pape Léon XIV au balcon de la chapelle Sixtine - Photo AP / Guglielmo Mangiapane

8 mai 2025, la fumée blanche s'échappe de la chapelle Sixtine: un nouveau pape a été élu. Ce nouveau souverain pontife, le cardinal Robert Francis Prevost, devient le premier pape originaire des USA. Il s'inscrit dans une ligne modérée, alliant à la fois progressisme et traditionalisme.

Face au durcissement récent des relations internationales, en partie provoqué par les USA, et les différentes crises et conflits, un vent de fraîcheur au sein de la basilique St-Pierre pourrait bel et bien avoir des conséquences importantes au niveau mondial, comme cela s'est déjà déroulé par le passé. Nous vous proposons aujourd'hui un retour en arrière historique sur l'implication des souverains pontifes dans les guerres économiques et politiques depuis la seconde guerre mondiale.

Le tournant post-seconde guerre de l'Église catholique et ses conséquences sur la guerre froide et le monde contemporain

L'église catholique s'est vue marquée dans la deuxième partie du 20e siècle par une forte lutte en faveur de l'occident anticommuniste. Après la guerre, le pape siégeant Pie XII fait le premier pas en faveur du bloc occidental en alignant les valeurs de l'Église aux libéraux anticommunistes. Bien que très neutre pendant la seconde guerre, il amorce par la suite une longue coopération entre le Saint Siège et les états occidentaux.

Ce tournant est toutefois nuancé par l'arrivée du Pape Jean XXIII, qui s'est opposé à une guerre idéologique et a oeuvré pour faciliter le dialogue entre les deux blocs de la guerre froide. En plus d'ouvrir l'Église à la société moderne avec le Concile Vatican II, il a rédigé deux encycliques, Mater & Magistra et Pacem in Terris.

Le premier prône l'idée d'une justice sociale pour tous et une dignité humaine absolue. Il encourage l'Église à s'impliquer dans la société pour aider les plus démunis. Ce texte résonne aujourd'hui d'autant plus qu'il a été publié à l'occasion du 70e anniversaire d'une encyclique sociale (Rerum Novarum) du Pape Léon XIII, ayant beaucoup agi pour la doctrine sociale de l'Église catholique et partageant le même nom que le nouvel occupant du Saint Siège...

Le second, Pacem in Terris, a eu une vocation et un impact s'étendant bien plus loin qu'aux frontières de l'Église. Cette encyclique, adressée à "tous les hommes de bonne volonté", défend les droits de l'homme, dénonce la course à l'armement nucléaire et encourage la création d'institutions internationales en faveur de la paix.

Ce changement de posture de l'Église a eu plusieurs conséquences:

  • Il a permis des canaux de négociation avec les pays de l’Est, notamment l’URSS et les pays satellites, ouvrant la voie à des accords diplomatiques et à une reconnaissance mutuelle.
  • Cette approche a apaisé les tensions et renforcé la légitimité du Saint-Siège comme médiateur dans les conflits internationaux.
  • Elle a favorisé des politiques économiques plus humanistes, même dans des États non catholiques, en popularisant l'idée que le développement humain et la paix passent par la reconnaissance des droits économiques fondamentaux.
  • Le climat d’ouverture instauré par Jean XXIII a encouragé la coopération Nord-Sud : les pays industrialisés catholiques ont commencé à considérer l’aide au développement comme un devoir moral, et non seulement comme un outil géopolitique.
  • Il a préparé le terrain intellectuel et spirituel à l’économie solidaire et au commerce équitable, en posant les bases d’une économie orientée vers la dignité humaine.
  • Les institutions catholiques (Caritas, écoles, missions, banques éthiques) ont bénéficié d’une légitimation accrue pour intervenir dans les économies émergentes.
Jean XXIII, Wikimedia

Dans la continuité de Jean XXIII, le pontificat de Paul VI s’inscrit dans une ère de transition : décolonisation, émergence du Tiers Monde, début des chocs pétroliers, et montée de l’économie globalisée. Premier pape à voyager hors d’Europe, Paul VI est le pontife du dialogue élargi, mais aussi du discours structuré sur le développement économique mondial. Avec des textes comme Populorum Progressio (1967), il pose les bases d’un humanisme économique mondial. Son discours prononcé à l'ONU en 1965 a résonné chez les diplomates et chefs d'état et a placé le Vatican comme acteur diplomatique au service du développement humain.

Jusqu'alors, l'Église catholique, bien qu'impliquée mondialement dans le désamorçage des conflits et la coopération internationale, demeurait tout de même un acteur très neutre et assumant un rôle de médiateur. Toutefois, son implication s'accéléra avec l'accession au Saint Siège du premier Pape non-italien après plus de 400 ans ainsi que premier souverain pontife polonais, le très célèbre Karol Wojtyla, plus connu sous le nom de Jean-Paul II...

Jean-Paul II

Le pape qui a fait tomber le Rideau de fer.

Le Pape Jean-Paul II a marqué un tournant dans l'histoire en menant publiquement un combat. Ce combat, il l'a mené de toutes ses forces contre son propre oppresseur, le totalitarisme. Originaire de Pologne, il a subi dans sa jeunesse les plaies des régimes oppresseurs, d'abord nazis puis soviétiques. De théâtre clandestin à séminaire prohibé par l'occupation, Jean-Paul II est resté fidèle aux principes catholiques de pacifisme, en refusant de s'engager dans la résistance armée. Il poursuit son ascension dans l'Église et défend publiquement les résistants polonais face aux accusations communistes. Il aide secrètement l'Église tchécoslovaque et ordonne en cachette des prêtres à Cracovie. En 1979, moins d'un an après son accession au Saint-Siège, il retourne en Pologne pour une visite et prononce son discours fameux "n'ayez pas peur". Ces paroles vont résonner longtemps dans les coeurs des polonais contraints de vivre sous le joug des soviétiques, muselés et privés de liberté. Suite à sa visite, naît le syndicat Solidarnosc, engagé contre le régime. Il sera soutenu publiquement mais aussi secrètement par Jean-Paul II.

Ces différentes actions auront failli lui coûter la vie lors de la tentative d'assassinat à son encontre en 1981: Jean-Paul II survit à plusieurs impacts de balles lorsqu'il défilait dans sa papamobile. La preuve que l'influence du pape dérangeait certains acteurs internationaux ?

En 1982, après sa rencontre avec le président américain Ronald Reagan, une alliance secrète est mise sur pied entre le Vatican et la CIA pour soutenir le syndicat Solidarnosc, en envoyant entre autres des fonds via des réseaux secrets, en acheminant du matériel et en fournissant des aides stratégiques aux réseaux clandestins polonais. Ces actions permettront à Solidarnosc de survivre à la répression et de faire de la Pologne un des premiers maillons faibles de l'URSS, qui contribuera à sa chute. Encore aujourd'hui, le peuple polonais considère Jean-Paul II comme son sauveur.

Après la chute du régime communiste, les anciennes nations sont contraintes de transiter vers une économie de marché. Jean-Paul II jouera également un important rôle en prônant un capitalisme éthique, qui se traduit par:

  • Un passage au capitalisme encadré moralement.
  • Le profit ne soit pas le seul but, mais le bien commun.
  • L’État doit continuer à protéger les plus faibles.

Les conséquences de cette pensée inspireront les entreprises et les états pour les années à venir. Le souverain pontife, bien qu'engagé contre le communisme, n'est pas pour autant un farouche capitaliste. Il souligne les dangers d'un néo-libéralisme incontrôlé et pose les premières pierres d'une politique axée sur l'humain au profit du profit.

Jean Paul II lors de son discours en Pologne en 1979

Le Vatican contemporain - les conséquences de Benoît XVI et François Ier


Après la mort de Jean-Paul II en 2005 lui succède Benoît XVI. Ce dernier, moins engagé mais plus observateur, placera l'Église dans une forme plus proche de celle connue aujourd'hui: moins influente mais critique à l'égard de la société occidentale. Grand intellectuel, il prendra plusieurs positions sur les dérives du capitalisme et sera très critique à son égard, notamment après la crise des subprime en 2007-2008. Il ne rejette pas l'économie de marché, mais estime qu'à elle seule elle dessert l'intérêt humain. Benoît XVI demeure tout de même très en retrait quant aux grandes conférences économiques mondiales et ne s'implique pas beaucoup sur le plan de la finance internationale. Son successeur, François 1er, s'est démarqué notamment par ses fortes prises de position contre le capitalisme mondialisé et l'économie de marché. Il repositionne l'Église du côté des victimes de la mondialisation.

Là où Jean-Paul II a combattu le communisme, et Benoît XVI a analysé la crise morale du capitalisme, le pape François souhaitait changer les règles du jeu : une mondialisation plus juste, une économie qui protège la planète, une société qui remet l’humain au centre.

Et maintenant ?


Il est difficile de mesurer précisément l'impact de chaque pape dans l'économie et la politique mondiale. L'accession récente au Saint-Siège d'un nouveau souverain pontife, modéré, américain, pourrait avoir de grandes répercussions sur la diplomatie actuelle, notamment avec les derniers rebondissements causé par le président des États-Unis Donald Trump, qui s'est empressé de féliciter son cher compatriote pour sa promotion. L'Église catholique américaine, riche de plus de 50 millions de fidèles et relativement proche des milieux républicains, pourrait faire pencher la balance lors des prises de position du nouveau pape Léon XIV. Avec la prise de distance récente entre les USA et le reste du monde, un pape américain pourrait servir à rétablir une proximité de ces derniers avec l'Europe, voire avec le monde entier. Comme prononcé dans son discours, Léon XIV veut s'engager pour l'unité entre les peuples, pile au moment où la discorde semble regner...

Drapeau américain brandi sur la place Saint-Pierre. Photo SIPA/AP/Markus Schreiber

Sources:
Wall Street Journal
Inside the Vatican
Vatican News
Reuters
Le Monde
The Guardian
Encyclique Pacem in Terris (1963)
Encyclique Mater et Magistra (1961)
Times