Rapport : Washington, Pékin et les sacs Hermès... quand la géopolitique frappe le luxe

Rapport : Washington, Pékin et les sacs Hermès... quand la géopolitique frappe le luxe
Photo by Chi Lok TSANG / Unsplash

Introduction

La semaine du 18 avril 2025 a marqué un tournant majeur dans les relations sino-américaines, avec une nouvelle escalade commerciale : les États-Unis ont imposé jusqu’à 145 % de droits de douane sur les importations chinoises, et Pékin a répliqué avec des taxes allant jusqu’à 125 % sur les produits américains. Ces mesures ont déclenché une onde de choc sur les marchés mondiaux. Ce rapport analyse d’abord le contexte de ces tensions et leurs effets macroéconomiques, avant de se pencher sur l’impact direct sur le secteur du luxe (LVMH, Hermès, Prada, Versace). Enfin, il explore les conséquences pour l’Europe et la Suisse, entre menaces et opportunités stratégiques.​

Un climat de tensions inédites entre Washington et Pékin

Au printemps 2025, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a franchi un nouveau cap. Donald Trump, tout juste réélu, a imposé des droits de douane atteignant 145 % sur les importations chinoises, invoquant notamment des griefs liés au fentanyl. Pékin a répliqué avec 125 % de surtaxes sur les produits américains, rendant les échanges quasi impossibles. La Chine dénonce une « farce » politique, tandis que les États-Unis justifient ces mesures par des déséquilibres commerciaux. Bien que Trump ait temporairement exempté 75 pays alliés, un prélèvement général de 10 % reste appliqué à toutes les importations, y compris européennes. À ces tensions économiques s’ajoutent des enjeux géopolitiques profonds (Taïwan, technologie, sécurité), rendant toute désescalade diplomatique difficile à court terme.​

Répercussions macroéconomiques globales

L’escalade commerciale entre les États-Unis et la Chine a rapidement secoué l’économie mondiale. Les marchés ont chuté début avril, reflétant la peur d’une récession induite par le protectionnisme accru. La confiance des investisseurs a reculé, et plusieurs analystes ont revu à la baisse leurs prévisions. Bernstein prévoit désormais une baisse de 2 % du chiffre d’affaires du luxe mondial en 2025, contre une croissance attendue de 5 % auparavant un recul inédit depuis plus de 20 ans.​

Au-delà du luxe, ce sont les chaînes d’approvisionnement mondiales qui vacillent. La Banque centrale européenne a abaissé ses taux directeurs pour la 7ᵉ fois en un an, mettant en avant la menace que représente le protectionnisme pour la croissance. Aux États-Unis, cette politique tarifaire, bien que destinée à protéger certaines industries, suscite une crainte de ralentissement et une chute du dollar. Les consommateurs ressentent déjà l’effet des hausses de prix sur de nombreux produits.​

Le taux de dépôt de la BCE passe de 2,5% à 2,25%, un plus bas depuis début 2023.

En Chine, la croissance reste solide au premier trimestre, mais les tensions pèsent sur les exportations vers les États-Unis.Pékin accélère sa diversification commerciale vers d’autres régions (Asie, Afrique, Europe). Toutefois, aucun des deux géants ne sort indemne de ce choc commercial qui redéfinit l’équilibre des flux mondiaux.​

Impact sur le secteur du luxe

Le secteur du luxe mondial est durement touché par les tensions sino-américaines. LVMH a annoncé une baisse de 3 % de ses ventes au 1er trimestre 2025, principalement due au ralentissement aux États-Unis et à une demande chinoise toujours faible. Hermès, malgré une hausse de +7 %, déçoit aussi les attentes (+10 % anticipé), plombé par une léthargie persistante en Chine. La consommation chinoise, historiquement moteur du luxe, reste pénalisée par la crise immobilière et le contexte nationaliste.​

En Bourse, LVMH a chuté de -7 % en une seule journée (15 avril), perdant plus de 100 milliards d’euros de capitalisation en quelques mois. Hermès résiste mieux, grâce à sa clientèle ultra-aisée et sa stratégie de rareté, devenant brièvement la première capitalisation du secteur. Prada, Burberry et Kering subissent également des pertes importantes. Les analystes redoutent une stagnation du marché du luxe pour 2025, la pire performance depuis plus de 20 ans.​

​Performances de l'action LVMH (MC.PA) sur les cinq derniers jours de bourse

Face à cette pression, les grandes maisons adaptent leur stratégie. LVMH envisage de renforcer sa production aux États-Unis pour contourner les barrières tarifaires, tandis qu’Hermès prévoit d’augmenter ses prix sur le marché américain pour compenser les taxes. De son côté, Prada explore une stratégie de croissance externe : le groupe italien serait en discussion pour racheter Versace et Jimmy Choo, dans l’optique de consolider ses positions.​

En somme, dans un climat de demande incertaine et de pression réglementaire croissante, les groupes les plus solides comme Hermès semblent mieux armés pour traverser la tempête, tandis que les autres misent sur la relocalisation, la diversification ou la consolidation pour rester compétitifs.​

Enjeux et perspectives pour l’Europe

L’Europe se retrouve dans une posture fragile, prise entre les deux géants que sont les États-Unis et la Chine. Bien que non directement visée, l’Union européenne subit un droit de douane de 10 % sur ses exportations vers les États-Unis, avec la menace d’une hausse à 20 %. Le secteur du textile haut de gamme est particulièrement exposé, notamment en Italie, France et Portugal. En parallèle, l’Europe redoute un afflux massif de produits chinois détournés du marché américain, ce qui pourrait accroître la pression sur ses industriels. Bruxelles évoque des mesures de sauvegarde, tout en maintenant un dialogue actif avec Washington pour éviter l’escalade.​

Pour la Suisse

La Suisse, très exposée dans les secteurs du luxe, de la précision et de la finance, a été durement touchée début avril par la décision américaine d’imposer une surtaxe de 31 % sur ses exportations. Plus sévère que celles imposées à l’Union européenne, cette mesure vise principalement les montres suisses, dont les États-Unis représentent le premier marché mondial (près de 17 % des exportations helvétiques, soit 4,4 milliards de CHF en 2024). Les segments moyen et haut de gamme pourraient souffrir d’un net repli de la demande, en particulier les marques comme Swatch, Cartier ou IWC.

Face à ce choc, le Conseil fédéral a opté pour la voie diplomatique. Berne a exprimé sa « profonde déception » et annoncé l’envoi d’émissaires à Washington pour demander des exemptions ciblées. Aucune mesure de rétorsion n’est prévue pour l’instant. L’État compte sur la solidité de l’économie suisse pour amortir les effets de cette guerre commerciale : les secteurs pharmaceutique (Novartis, Roche) et de l’or, épargnés par les surtaxes, assurent encore une stabilité structurelle.

Néanmoins, d’autres domaines sont fragilisés : la mécanique de précision, l’agroalimentaire (chocolat, fromages) et l’horlogerie souffrent à la fois des taxes américaines et de l’appréciation du franc suisse, valeur refuge en période de crise. Cette revalorisation rend les exportations plus coûteuses, poussant certains industriels à envisager des ajustements de production ou de prix.

Parallèlement, la Suisse pourrait saisir des opportunités. Son accord de libre-échange avec la Chine, actif depuis 2013, et sa position de neutralité internationale lui permettent de se rapprocher de Pékin dans un contexte où les tensions avec Washington s’intensifient. Le pays peut aussi renforcer son attractivité touristique et commerciale auprès des clientèles asiatiques, notamment les Chinois aisés qui se détournent des États-Unis. À condition d’agir vite, la Suisse peut ainsi transformer une situation de vulnérabilité en levier stratégique.

Conclusion

L’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine en avril 2025 a bouleversé les équilibres économiques mondiaux. Ce bras de fer tarifaire impacte fortement le secteur du luxe, révélant sa dépendance aux marchés américain et chinois. LVMH, Hermès, Prada, et d’autres grandes maisons européennes sont contraintes de revoir leurs priorités, leurs stratégies industrielles et leurs ambitions.

Mais dans chaque crise naît un potentiel de réinvention. L’Europe, malgré les menaces tarifaires, conserve des cartes diplomatiques et économiques à jouer. Elle peut se positionner comme médiatrice stratégique, tirer parti des flux détournés et accélérer son autonomie commerciale. La Suisse, quant à elle, allie prudence diplomatique et agilité économique, misant sur ses atouts structurels pour rester compétitive.

Dans un monde où les géants s’affrontent, les acteurs plus petits mais stratégiques peuvent trouver leur place. Encore faut-il savoir lire les signes du temps, ajuster son cap, et agir avec lucidité. Cette guerre commerciale ne dessine pas seulement un conflit : elle redéfinit les règles du jeu mondial. Et dans ce jeu, l’Europe et la Suisse pourraient, si elles le veulent, redevenir des arbitres d’avenir.

Références

  1. Butler, E. (2025, 11 avril). Tensions États-Unis–Chine : Pékin porte à 125 % ses droits de douane sur les produits américains à titre de représailles. Euronews. fr.euronews.comfr.euronews.com
  2. Le Poidevin, O., & Mantovani, C. (2025, 3 avril). Swiss watch industry sees tough times ahead over Trump tariffs. Reuters. reuters.comreuters.com
  3. Spencer, M., & Hummel, T. (2025, 15 avril). LVMH overtaken by Hermès in market capitalization as sales disappoint. Reuters. reuters.comreuters.com
  4. Reuters (2025, 17 avril). LVMH’s Arnault lashes out at Brussels over US trade tensionsreuters.comreuters.com
  5. Reuters (2025, 17 avril). Luxury brand Hermès to pass on tariff costs to US clients as sales growth slowsreuters.comreuters.com
  6. Anzolin, E. (2025, 4 mars). “When things come around, you’ll look” – Prada reviews M&A after Versace talk. Reuters. reuters.comreuters.com
  7. Euronews (2025, 11 avril). Droits de douane : le secteur textile européen retient son soufflefr.euronews.comfr.euronews.com
  8. Euronews (2025, 17 avril). En pleine guerre commerciale avec les États-Unis, la BCE réduit ses taux pour la septième fois en un anfr.euronews.comfr.euronews.com
  9. Le News. (2025, 5 avril). Swiss government decides against a direct response to US tariffslenews.chlenews.ch
  10. Bloomberg – Felsted, A. (2025, 15 avril). Luxury Industry’s “Trump Boost” Was Very Short-LivedBloomberg Opinion. (Analyse commentant la chute du secteur luxe au T1 2025).